Sunday, 20 March 2011

Intervention en Libye : le divorce du couple franco-allemand

Maintenant, c'est «je t'aime, moi non plus». - DR.
Maintenant, c'est «je t'aime, moi non plus». - DR.
Avec le dossier libyen, la rupture parait consommée entre l'Allemagne et la France. Histoire d'une brouille commencée en 2007.
Elle traîne des pieds, mais elle est à Paris, Angela Merkel, pour participer, plutôt en spectatrice à ce sommet extraordinaire qui réunit l’Union Européenne, la Ligue arabe, ainsi que le secrétaire général de l’ONU et les représentants des États-Unis. L’objectif de cette réunion organisée par la France, qui continue de pousser ses pions diplomatiques, est de concrétiser la résolution 1973 de l’ONU que Berlin a refusé de voter, préférant apparaître aux yeux du monde comme la capitale européenne de l’égoïsme face au massacre des Libyens perpétré par le dictateur Kadhafi.
Au même moment, Nicolas Sarkozy et David Cameron, le Premier ministre britannique font assaut de gestes d’amitié, comme si l’entrée récente de la France au conseil de l’Otan avait débloqué le verrou de la relation entre la France et la Grande-Bretagne, au point de les réunir dans une volonté commune d’agir contre le dictateur libyen. A l’évidence, une page se tourne en Europe. Et c’est au moment où elle apparaît la plus affaiblie, la plus divisée, que se reconstruisent de nouveaux équilibres diplomatiques.

L’amitié franco-allemande depuis de Gaulle et Adenauer

Cinquante ans ont passé depuis la construction laborieuse, par le général de Gaulle et le chancelier Adenauer, de la fameuse «amitié franco-allemande» symbolisée par les deux hommes, main dans la main, recueillis sur le parvis de la cathédrale de Reims, et la signature du traité de l’Élysée en 1963. Ce dernier «scelle, de manière irrévocable», écrit François Kersaudy (1) sur le site charlesdegaulle.org, «une concertation permanente dans les domaines de la défense, de la politique étrangère, de l'économie et de la culture.»
Cette concertation s’est maintenue, vaille que vaille, sous toutes les présidences françaises et allemandes. On se souvient des relations de couple parfois compliquées, toujours amicales, entre Georges Pompidou et Willy Brandt, Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, François Mitterrand et Helmut Kohl, Jacques Chirac et Gerhard Schröder. «La chute du mur de Berlin en 1989 et le processus de réunification des deux Allemagne est un test pour les liens tissés entre les deux pays», mais le président Mitterrand finit par assurer les Allemands « de la solidarité de la France», écrit le site de l’encyclopédie Larousse, avant d’insister sur les positions communes de Jacques Chirac et du chancelier Schröder, notamment sur l’Irak : «En 2005, Chirac et Schröder, dans un élan commun, s'opposent à la logique de guerre et à l'ultimatum des États-Unis à l'encontre de l'Irak de Saddam Hussein».

Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, enfants de l’après-guerre

Nicolas Sarkozy est né en 1955 et la chancelière Angela Merkel en 1954. Ils ne sont pas liés par ce ciment que constitue le souvenir des Guerres Mondiales. Ils entendent pourtant, à leur arrivée au pouvoir (en 2005 pour elle, en 2007 pour lui) «perpétuer les valeurs franco-allemandes» dans un monde multipolaire secoué par une crise économique majeure. «En 2009, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel assistent aux cérémonies du 11 Novembre côte à côte pour célébrer l’amitié franco-allemande. Une première», se réjouit l’encyclopédie Larousse.
Pourtant, les ferments d’une mésentente entre ces deux personnalités si différentes, sont déjà là. Angela Merkel a vécu en Allemagne de l’Est et sa culture l’entraîne naturellement vers les pays de l’ancienne Union soviétique. Femme austère (elle est fille de pasteur), ancienne présidente du CDU (démocratie chrétienne) elle cherche le compromis dans son pays où elle devient chancelière une première fois avec l’accord de coalition signé entre le CDU et le SPD (parti socialiste), puis une deuxième, dans le cadre d’une entente entre le CDU-CSU et le FDP (parti libéral).
Au contraire d’elle, Nicolas Sarkozy a vécu dans une banlieue bourgeoise (Neuilly). Ambitieux, il affectionne les signes de la réussite au point qu'on lui reproche souvent son côté «bling-bling». Enfin, il développe un caractère combatif et une ambition qui font de lui un «hyper-président», un homme passionné par le désir de convaincre et de gagner.
Mais le président français «passe mal» auprès de sa collègue allemande. Il l’embrasse, la tutoie, lui tape sur l’épaule et l’on voit bien sur les vidéos, en 2007, les petits gestes de recul et d’agacement de la chancelière. Le Figaro titre: «Le style Sarkozy désoriente les Allemands», quelques mois à peine après l’arrivée au pouvoir de ce dernier.

L’Allemagne torpille l’Union pour la Méditerranée

Le projet « d’Union euro-méditerranéenne » naît durant la campagne présidentielle de 2007 sous la plume d'Henri Guaino, le conseiller spécial du futur Président. «Il imagine de créer cette nouvelle institution afin d’offrir une alternative à l’adhésion de la Turquie à l’Union dont Sarkozy ne veut pas», écrit Libération. «L’idée est floue et surtout n’a pas été testée auprès des partenaires de la France, au premier rang desquels l’Allemagne».
Au printemps 2008, Nicolas Sarkozy reprend son projet d’Union pour la Méditerranée qui, d’après lui, doit exclure tous les pays de l’Europe du Nord. Or, il existe déjà le «processus de Barcelone», une union de toute l'Europe lancée en 1995 et destinée à aider les pays du pourtour méditerranéen à se développer. Finalement, le porte-parole d’Angela Merkel déclare à l’Agence France-Presse: «Il n’y aura pas une Union de la Méditerranée comme le proposait le président français mais un développement des consultations entre l'Union européenne et la région Méditerranée». Un camouflet pour Nicolas Sarkozy. Mohand Aziri, journaliste à El Watan, titre alors sur djazairess.com : «Merkel torpille le projet d’Union pour la Méditerranée»

Économie : l’Allemagne devant, la France derrière

D’autres divergences apparaissent, notamment sur les plans économique et financier. «Dans le traditionnel moteur franco-allemand de l’Europe, l’Allemagne tire l’économie et la France la freine» écrivions-nous l’été dernier sur Suite 101, au moment où Berlin annonçait 3% de croissance en 2010 et Paris un petit 1,4%.
Au printemps 2008, France24.com insiste sur les reproches des Allemands à l’égard d’une France qui laisse filer son déficit: «Le ministre des Finances allemand, Peer Steinbrück, a maintes fois exprimé des critiques à son encontre. La récente demande de la France de repousser l’équilibre budgétaire à 2012 avait provoqué de sa part une réaction courroucée».
Mais l’assainissement des finances publiques françaises n’est pas le seul sujet de dispute, souligne encore France24.com : « Depuis qu’il est au pouvoir, Nicolas Sarkozy n’a cessé de fustiger un euro trop fort et a régulièrement remis en cause l’indépendance de la Banque centrale européenne, un principe fermement défendu par Berlin».
Le franc fort ne nuit pas aux exportations allemandes mais affaiblit les pays européens les plus fragiles. Pour autant, quand certains pays comme la Grèce, se retrouvent en cessation de paiement, au risque de déstabiliser l’euro, l’Allemagne ne veut pas mettre la main à la poche. L’Expansion écrit: «Alors qu'on pensait acquise une aide financière de la zone euro pour la péninsule hellénique, les Allemands démentent. Une fois encore, les Européens ne brillent pas par leur unité». Dix jours plus tard, Angela Merkel finit par accepter de contribuer à une aide européenne à deux conditions: que le FMI apporte sa contribution (c’est la première fois en Europe) et que la Grèce s’engage à un plan d’austérité sans précédent.

L’Allemagne gèle sa politique d’énergie nucléaire

La catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon, vendredi 11 mars 2011, a des conséquences relativement modérées en France dans le débat nucléaire (un audit des centrales ainsi qu’un Grenelle devrait avoir lieu). Certes, une inquiétude se manifeste chez les Français qui se renseignent sur les pastilles d’iode et craignent l’arrivée éventuelle d’un nuage radioactif. Mais rien à voir avec l’Allemagne où la colère et la psychose se manifestent aussitôt, selon L’Expansion du 15 mars. Le pays est dévalisé de son stock de compteurs Geiger. «Depuis ce weekend, près de 450 manifestations réunissant en tout 110 000 personnes ont été recensées dans le pays, y compris devant les fenêtres d'Angela Merkel: «On n’a jamais vu autant de gens se réunir de manière aussi rapide dans toute l'histoire du mouvement anti-nucléaire» , se réjouit Jochen Stay, porte-parole d'Ausgestrahlt, l'une des principales associations antinucléaires allemandes».
Un sondage révèle que 53 % des Allemands exigent un arrêt immédiat des centrales. «C'est dans ce contexte explosif et préélectoral que la Chancelière a réagi, poursuit l’hebdomadaire, en annonçant, un moratoire de trois mois pendant lequel les dispositions de la loi seront suspendues. Pendant cette période, les sept plus vieux réacteurs, construits avant 1980 sur la même base que les réacteurs japonais, seront arrêtés et les dispositifs de sécurité de toutes les centrales allemandes seront soumis à un examen serré».

Berlin et le sujet tabou de la «guerre»

La génération des jeunes Allemands, nés au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, ne supporte pas l’idée de la moindre participation allemande dans un conflit armé. D'ailleurs 80% des Allemands sont contre une intervention en Libye. En 2005, Jacques Chirac trouve donc un allié en la personne de Gerhard Schröder pour s’opposer à une intervention américaine en Irak.
Depuis 2001, l’Allemagne est engagée en Afghanistan. Mais elle a longtemps laissé croire à sa population que son armée limitait son rôle à la formation pour l'armée afghane et des opérations d'aide à la population. Il a fallu le bombardement de Kunduz, perpétré sur ordre d’un colonel allemand en septembre 2009, et qui a coûté la vie à 142 personnes, pour que les Allemands comprennent qu’ils étaient engagés dans la guerre . L’ancien ministre de la Défense, Franz Josef Jung, devenu depuis ministre du Travail, a dû démissionner ainsi que le chef d’état-major, le général Wolfgang Schneiderhan.
Après ce scandale, toute intervention militaire de la part des Allemands est devenue taboue. De quoi mieux comprendre pourquoi Angela Merkel, ces dernières semaines, a exprimé ses réticences devant l’initiative de Nicolas Sarkozy qui entendait la pousser à intervenir en Libye.
On le voit, les sujets de friction ne manquent pas entre Paris et Berlin, au point que l’on peut se poser la question: que reste-t-il du couple franco-allemand qui, pendant plus de 50 ans, a apporté à l’Europe sa solidité et son dynamisme ? Nul doute que devant ce constat de quasi-divorce, le général de Gaulle et le chancelier Adenauer doivent se retourner dans leur tombe.
(1) François Kersaudy, auteur de De Gaulle et Churchill : la Mésentente cordiale, Perrin, 2001, 496 pages, 22,80 euros.

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