Je suis né le 25 juillet 1981 à Kibeho, province de Gikongoro dans le
Sud du Rwanda. Kibeho est une des régions les plus évangélisées de
notre pays. Tous les habitants de la région étaient tous catholiques
pratiquants. L’Eglise de Kibeho construite en 1934, faisait partie des
principaux monuments de l’Eglise les mieux construits chez nous. Lors
des massacres des tutsis de 1959, l’Eglise de Kibeho fut l’un des lieux
surs et sauveurs, où les tutsis de toutes les régions environnantes
pouvaient se cacher sans aucune crainte de l’assassin. Raison pour
laquelle la plus part des tutsis, avaient choisi de s’y installer après
ces massacres. En 1994, l’année du génocide, plus de 99% de la
population de Kibeho étaient tutsis.
Mon Père BUGUZI Augustin, directeur de l’Ecole Primaire de Kibeho et ancien élève des premières écoles religieuses de Save, était quelqu’un de très appliqué dans l’Eglise. Il aurait d’ailleurs voulu devenir prêtre avant de rencontrer ma mère ILIBAGIZA Placidie, qui elle aussi était enseignante à l’école primaire de Kibeho. Mes parents m’ont donné le nom de MIHIGO grâce à mon grand père paternel qui s’appelait ainsi, et le prénom Kizito, grâce aux premiers martyrs ougandais.
En 1990, lors de la première attaque du FPR, Kibeho étant géographiquement mal placé, n’était pas parmi les régions les plus informées de ce qui se passait de l’autre coté, en l’occurrence en Ouganda. Le lendemain de l’attaque, je me réjouissais d’aller raconter à mon père comment notre pays venait d’être envahi par les petits animaux appelés Inyenzi Inyangarwanda. Et très convencu, je lui demandais de tout faire pour que ces animaux, comme nous disait la radio, n’arrive pas dans notre région.
Mon père qui apparemment était au courant de tout, et comprenait la situation beaucoup plus que moi, changea d’attitude depuis ces jours là. Il devint très calme, très pensif, beaucoup plus spirituel, lui qui alla à la messe chaque dimanche, commença désormais à y aller tous les jours, et nous les enfants, on se demandait pourquoi.
En avril 1994, avant même l’attentat de l’avion, les habitants de Kibeho étaient tous envahis de peur. Les écoles étaient fermées depuis quelques semaines, les étudiants hutus menaçaient leurs collègues tutsis, les voisins qui habituellement étaient nos amis, ont brusquement commencé à menacer mon père et ma mère en leur disant que leurs enfants allaient être tués à leurs yeux, et que nos vaches aller bientôt être mangées. Nous les enfants, on y croyait pas. Tous les gens qui venaient chez nous pour demander à manger et à boire, et qui tous partaient contents et rassasiés voire ivres, n’allaient pas, disions-nous, tout oublier d’un seul coup. On pensait au contraire qu’ils allaient nous protéger de cette guerre qui se murmurait depuis quelques mois.
Le 7 Avril 1994 le matin, j’ai croisé mon père dans le couloir de notre maison, et il ne semblait pas avoir dormi. Il avait les yeux rouges, comme quand il était fâché. Il est allé faire un tour derrière la maison, et il est revenu en nous disant : « Venez voir ce qui se passe sur la colline en face » Toutes les maisons de nos voisins en face, brûlaient en même temps, et on se demandait qui étaient capables de brûler ces maisons en même temps car elles étaient quand même nombreuses. …….. Arrivés à l’Eglise, nous avons été traumatisés par des milliers et des milliers de personnes, hommes, femmes et enfants venant de toutes les régions voisines.
L’Eglise était pleine, l’Ecole primaire aussi, et les gens commençaient à s’installer dans une école secondaire voisine.
Mon père était parmi les tutsis les plus recherchés de la région et il avait très peur, moi je l’ai vu. Il est venu nous trouver à la maison et il nous a demandé de partir, et d’aller dans une famille amie à Runyinya, une des communes de Butare. Mon père est resté avec sa mère qui était très âgée et qui ne savait plus marcher. Il nous disait que si la situation devenait trop grave, il allait prendre son vélo, et nous joindre à Butare. On devait partir à pied, et de préférence pas par les routes principales. Nous avons pris le chemin de la foret et nous avons allongé la rivière appelé Uwarunyerera. Après quelques kilomètres avec mes sœurs, ma mère et mon petit frère dans son dos, quelques hutus nous ont vu en train de traverser la vallée. Parmi eux il y avait les enseignants collègues de mes parents, l’inspecteur d’arrondissement, il y avait aussi l’agronome de la commune. Ils étaient assis sur les collines autour de nous, je crois qu’ils attendaient un signal pour aller tuer les gens dans l’Eglise. Ils nous ont vu et ils sont descendus des collines en criant : « Ce sont les riches, ce sont les riches, ils ne doivent pas nous échapper », et nous, nous avons couru dans différentes directions. Ma maman avait mon petit frère dans le dos, elle ne savait pas courir. Elle s’est cachée dans un trou à coté de la rivière, et j’ai rencontré mes soeurs une à une après quelques kilomètres dans la foret. A un certain moment nous avons cru que ma mère avait été tuée.
Ma mère a passé en effet le reste de la journée dans ce trou, et la nuit aussi. Le lendemain, elle nous a rejoint à Butare, et nous avons pleuré ensemble.Elle nous dit que les personnes qui nous poursuivaient ont traîné tout prêt de ce trou en fouillant partout. Quelques heures après son arrivée, nous avons vu l’Eglise de Kibeho en train de brûler, et nous entendions de loin les coups de feu. C’était la première fois que nous avons entendu le bruit d’un fusil, et nous nous demandions ce que devenait papa au milieu de tout cela.
Il nous avait dit que si la situation s’aggravait, il allait prendre son vélo et nous joindre à Butare. Nous avons passée toute la nuit tout yeux tout oreilles. On attendait papa avec son vélo.
Vers les 10h du matin, nous avons entendu « induru » les cris dans le quartier où on logeait. Après quelques minutes, c’était les coups de feu. Le bruit des fusils était tellement proche de la maison qu’on croyait l’entendre dans nos cœurs. Tout le monde tremblait. Maman nous demandait tous de prier, mais on n’y arrivait pas. Personne ne pouvait se concentrer. On prenait les chapelains en main, mais on en faisait rien. On a décidé de quitter la maison en courant. Moi j’ai pris la radio, mes sœurs ont pris les habits, les autres ont pris la vaisselle, et tout ce qui pouvait être portable, mais je vous jure que personne n’a couru plus de 500 mètres avec. Il y avait un très long fil des hutus qui nous demandaient l’argent, tout ce que nous avions, ou alors, nous tuer. Il y avait aussi quelques twa avec eux. Quelques dizaine de tutsi de ce village, sont morts en ce moment là.
Après avoir donné tout ce que nous avions, ils nous ont conduit au centre de Karama, toujours en province de Butare, et ils nous ont dit que les massacres étaient finis. Nous avons failli y croire car on a passé plus de deux semaines dans ce centre, on était beaucoup de milliers dans ce centre et on attendait qu’ils viennent nous tuer, mais je crois qu’ils avaient peur parce qu’on était très nombreux. Pendant la nuit, on était attaqués par des petits groupes des hutus armés mais à chaque fois on les combattait, et on les chassait. Moi et ma famille nous dormions dans une salle paroissiale, entre l’Eglise et l’Ecole. On était tellement nombreux dans cette salle, que quelques fois je préférais aller dormir dehors malgré le danger.
Les gens dormaient au dessus des autres, on dirait les sacs de charbons … Quand on voulait sortir pendant la nuit, on marchait au dessus des gens. Un enfant a voulu aller faire pipi, on lui a dit de marcher sur les gens, et d’aller faire pipi à travers la fenêtre, et il est revenu en morceau. On lui a lancé une grenade à travers la fenêtre. Les gens qui dormaient à coté de la fenêtre, ont été tous blessés. Moi je n’ai rien su, parce que j’étais en dessous. J’étais étouffé, je ne pouvais pas respirer, mais, au moins j’ai été sauvé de ce danger. Nous avons passé une dizaine de jour à ce centre paroissiale de Karama, et le 19 Avril, c’était le jour qu’on attendait.
Toute l’armée de la province de Butare je crois, toute la police, toute la gendarmerie, sont tous venus nous bombarder. Ils lançaient les bombes et les grenades dans les sales, et pendant qu’on criait en essayant de prendre les blessés et en regardant si quelqu’un de la famille avait été touché, les interahamwes entraient dans les sales pour couper les têtes des gens. Chaque personne qui sortait était directement fusillée par les soldats qui étaient dehors. Un homme très courageux appelé Ildefonse, ordonna tous les hommes qui étaient dans notre salle de sortir et de mourir en combattant. Seuls les femmes et les enfants devions rester dans la salle. Ildefonse est sorti premier et sa tête a explosé juste devant la porte, et le sang nous a rejoint en l’intérieur de la salle. Les Interahamwe sont entrés dans notre salle, ils ont coupé les gens, ils ont coupé tout le monde, mais pas moi, ni ma mère, ni mes sœurs. On était très salle, tout le monde était très salle, imbibé dans le sang, je pense qu’ils n’arrivaient plus à distinguer les vivant des morts et des blessés. Dans la salle j’étais avec mes quatre sœurs, ma mère et mon petit frère. Personne n’a été coupé pendant les trois heures de massacres, de midi à 15h. Nous considérons cela comme un véritable miracle de Dieu. A 15h, ils ont dit qu’ils n’avaient plus de balles. Tous les soldats sont partis, et seuls les miliciens sont restés avec leurs machettes et gourdins. Nous nous sommes décidé de sortir, on se disait qu’ils allaient nous couper avec les machettes et nous frapper avec leurs gourdins, mais qu’à un certain moment, ils allaient être fatigués. C’est comme ça que ça s’est passé. On est sorti au milieu de machettes. Le sang partout, on coupait celui qu’on voulait, moi je courait en marchant au dessus des morts et des blessés, où est ma mère je n’en sait rien, où sont mes sœurs ? A savoir plus tard, seule ma vie comptait. J’ai marché au dessus de quelqu’un qui n’avait plus de jambes. Il avait la hanche, les bras et la tête, mais pas les jambes. Il m’a dit : Stp ne marche pas au dessus de moi. Je l’ai regardé et j’ai continué à courir mais cette fois ci en pleurant.
Je ne savais pas quoi faire, je ne savais pas où aller, je ne comprenais pas bien ce qui se passerait dans le monde. Je croyais que c’était le monde entier qui vivait la même situation. J’ignorais que cela était possible, et surtout aussi brusquement.
Je me suis donc séparé de ma famille, et j’ai suivi un groupe des tutsis qui couraient. On a couru, ils disaient qu’on allait au Burundi, mais personne d’entre nous ne connaissait le chemin. On a traversé les vallées, on courait, on arrivait dans une vallée où les hutus nous attendaient avec leurs armes, ils tuaient, et si tu avais quelque chose à leur donner, ils pouvaient te laisser partir en te disant que tu allais te faire avoir devant. C’était juste, à chaque cent mètres on trouvait un groupe qui nous attendait. On a quitté Karama on était un groupe de 500 personnes environs, on est arrivé à Nyakizu, la commune voisine, on était plus qu’une dizaine. Dans la vallée de Nyakizu, c’était le matin du jour suivant, j’ai rencontré les gens que je connaissais. J’étais enfant de chœur dans l’église de Kibeho, je servais les prêtres pendant la messe tous les matins. Dans la vallée de Nyakizu, très tôt le matin, j’ai rencontré un groupe des hutus parmi eux, il y avait un prêtre que je servais tous les jours à Kibeho. Il a dit : Ce garçon je le connais, il est de Kibeho, on a déjà tué son père, il est le plus beau qui nous reste. Un soldat qui était avec lui a dit : « Il faudra le tuer comme dessert alors ». On m’a ordonné de m’asseoir là à coté d’une rivière, en attendant qu’ils finissent le groupe avec lequel j’étais, pour enfin me tuer comme dessert. J’étais assis avec une vieille femme, elle aussi devait être tué comme dessert. Ils ont tué tout le groupe avec lequel j’étais, sauf deux filles qui devaient rentrer avec eux, disaient-ils.
Quelques minutes après, un grand groupe des tutsi est arrivé, il y avait ma mère et ma sœur dedans, je les ai vus. Parmi eux il y avait un homme qui avait encore un peu d’argent. Il les suppliait en disant : Svp, ne me tuez pas je vais tout vous donner. Ils étaient tous distraits par cet homme, et moi j’ai couru sur la montagne, et en montant le soldat à tiré, mais aucune balle ne m’a touché. Actuellement je vois cela dans les films d’actions.
J’ai fait trois jours et trois nuits à pied, pour arriver au Burundi, tout comme les autres tutsis venant de Karama. Arrivé au Burundi c’était un autre combat qui commençait : Pleurer, chercher comment vivre seul sans rien, chercher et retrouver les miens qui seraient toujours vivants, et tout cela seul.
Le HCR était la seule personne qui pouvait m’aider, mais il était trop surchargé pour ça.
Deux semaines après mon arrivée au Burundi, j’ai retrouvé la première personne de ma famille : Ma mère avec mon petit frère qui n’avait pas encore un an. Ils étaient emmenés dans un autre camp de réfugiés qui étaient à quelques kilomètres du mien. J’y suis allée, je les ai retrouvés et je suis resté avec eux. Quelques jours plus tard, quelqu’un m’a dit qu’il aurait vu ma sœur à Matongo, un autre camp de réfugiés de l’autre coté du Burundi. J’y suis allée, deux jours à pied, et j’ai retrouvé Consolée ma sœur aînée. On a pris le camion du HCR et on est revenu à Mureke pour joindre maman et mon frère. Le lendemain j’ai appris que mes deux petites sœurs venait d’arriver à Mparamirundi, un camp de réfugiés tout près de la frontière, je les ai retrouvées, et elles aussi ont vécu des choses croyez moi. Seulement je ne sais pas si elles sont prêtes à les raconter. J’ai retrouvé tous les membres de ma famille de cette façon, à part mon père bien sur. Je rencontrais les gens qui étaient à Kibeho lors du bombardement de l’Eglise, et ils me disaient que lui a été tué à part, par un groupe des hutus dirigé par un Médecin de Kibeho, un docteur appelé MUTAZIHANA. Mutazihana avait une fille qui était une très grande amie à moi. On étudiait ensemble à l’école primaire de Kibeho. On m’a dit que c’est son père qui a tué le mien, et j’ai senti tout l’amour que j’avais pour elle, se transformer en terrible haine. J’ai détesté tous les hutus, et toutes les personnes de parents mixtes. Quand j’étais au Burundi, j’étais capable de tuer aussi, je crois. J’ai voulu entrer dans l’armée du FPR pour venger mon Père, mais j’étais trop petit, on n’acceptait pas les garçons de 12 ans. Je traînais avec les soldats burundais, je leur racontais ce que j’avais vécu, et je leur parlais de mon projet de venger mon père. Ils me soutenaient ces soldats, figurez vous. Je leur demandais de m’apprendre comment utiliser la baïonnette, la grenade et le fusil. Ils me l’ont appris. Je me disais que si jamais le FPR prenait le pouvoir, il y aurait plus de hutu dans notre pays, tout comme les enfants qui ont les parents mixtes. Je les détestais aussi. Je ne faisais plus confiance aux gens, et j’étais devenu très méchant. Heureusement que j’étais au Burundi, si j’avais pu être au Rwanda en ce moment là, j’aurais tué beaucoup de gens. J’en ai tué beaucoup ailleurs dans mes pensés. Je demande pardon à Dieu pour ce sentiment de haine et de vengeance que j’ai eu en ce moment là.
Juillet 1994, le FPR a libéré le pays, et nous sommes rentrés. Il n’y avait pas beaucoup de hutus dans le pays à l’époque, heureusement d’ailleurs. J’étais cette fois-là préoccupé par la recherche d’une belle maison à Kigali, pour mettre ma famille dedans et après aller dans l’armée du FPR. J’ai essayé d’entrer en Armée par le camp de Gashora au Bugesera, le seul camp militaire qui acceptait encore les enfants (Kadogo), et j’y ai rencontré mon oncle qui était dans l’armée depuis longtemps, il m’a donné dix coups de bâtons sur mes fesses et m’a obligé de retourner chez moi. Je suis retourné dans ma famille, fâché, de Bugesera à Kigali à pied. Quelques mois après, les écoles ont repris à Kigali, j’ai fini ma sixième année mais, j’avais une haine trop grande pour les enfants hutus. Un enfant hutu me parlait, et je le frappais. J’ai frappé beaucoup d’enfants comme ça, innocemment.
Après ma sixième année primaire en 1995, j’ai fait l’examen d’entrée au Petit Séminaire de Butare, un collège qui forme les futurs prêtres. J’avais juré à mon père d’entrer dans cette école, et lui m’avait dit que c’était l’école la plus sérieuse. J’ai réussi l’examen d’entrée et je suis parti au Séminaire. Je n’avais pas de vision de devenir prêtre en ce moment là, j’y allais juste parce que c’était une école préférée de mon Père et que je devais me souvenir de ses choix pour moi. Sinon j’avais la haine pour tout ce qui est les prêtre et l’Eglise. Arrivé au Séminaire, je suis tombé amoureux de deux choses aujourd’hui indispensables dans ma vie:
LA MUSIQUE SACREE et le KARATE. J’étais emporté par les compositions de la Chorale de Kigali interprétées par les séminaristes, et en dehors de l’école je me réjouissais à faire du Karaté avec l’équipe de l’école.
On avait la messe tous les matins et moi ma prière quotidienne pendant que le prêtre élevait le pain et le vin, était : « Seigneur, fais de moi un grand compositeur, fais de moi un grand chanteur de ta louange.
Aide-moi à te célébrer et à être célèbre dans ce domaine sacré, fait de moi quelqu’un de très fort dans le chant liturgique, et que tout le Rwanda puisse se servir de mes compositions. Seigneur, fais que mes compositions puissent bouleverser les cœurs de tous les rwandais, comme ces chants des séminaristes ont bouleversés ma vie. Fais que mes chants me valent ton Amour Seigneur et celui des hommes » Puis je disais à Dieu : « Seigneur, aide moi à devenir un grand Karateka, que je puisse être le capitaine de l’équipe de l’école un jour »
Pendant ma première année au séminaire j’ai composé plus de 50 compositions, et certaines se chantaient déjà au séminaire. En deuxième année, étant organiste de la chapelle du séminaire, j’ai fondé la chorale Mélomane, chorale permanente de l’Ecole. Avec une centaine de mes compositions, la chorale mélomane fut première dans des compétitions nationales des chorales. Dans cette chorale, il y avait le fils de l’Inspecteur d’arrondissement de Kibeho et le fils de l’agronome de Kibeho, les hommes qui voulaient nous tuer le 7 avril. Je leur apprenais à chanter tous les jours. Je vous le dis sincèrement, ces deux visages qui étaient tous les jours devant moi, dans ma chorale, m’ont beaucoup aidé à accepter beaucoup de choses dans ma vie. Ils m’ont beaucoup appris qu’on pouvait renoncer à la haine afin de pouvoir bien chanter pour Dieu. Ils m’ont aidé à anéantir ce sentiment amer qui colonisait mon âme depuis quelques années. Ces deux garçons ne le savent pas mais par eux, j’ai appris à pardonner, j’ai pardonné et je me sens plus heureux, plus tranquille, plus libre et surtout, plus proche de Dieu. Pardonner c’est à mon avis une grâce qui vient de Dieu tout seul, mais aussi une grâce qu’on peut demander et obtenir surtout quand on lutte pour être chrétien digne de ce nom, bref quand on veut aimer sans aucune limite.
Ils savaient chanter ces deux garçons, et moi je ne voulais pas me débarrasser d’eux. L’un d’entre eux est devenu finalement mon successeur, il a dirigé cette chorale après mon départ du Séminaire.
En 1997, dans une recollection au séminaire, je me suis souvenu, que quand j’étais au chemin vers le Burundi, j’avais promis à Dieu que si je n’étais pas mort, je n’allais plus pécher et j’allais consacrer toute ma vie à faire quelque chose qui Lui rendra gloire pendant toute ma vie. C’est donc en 1997 que j’ai pris la décision de me consacrer entièrement à la composition, à l’interprétation des chants liturgiques et à l’orgue, bref à devenir artiste de Dieu.
J’ai ensuite composé plus de 380 compositions qui se chantent partout dans les paroisses du Rwanda. J’ai grâce à Dieu réussi plusieurs concours nationaux, dont celui de l’hymne national actuel de notre pays. Je remercie infiniment notre patrie, le Président de la République et son gouvernement qui ont reconnu ma vie entant qu’artiste, et m’ont donné la chance de venir approfondir mes connaissances aux Conservatoires de Musique d’Europe. C’est une expérience artistique incomparable pour moi. C’est un autre monde différent du séminaire mais dans lequel on doit aussi se chercher et se retrouver entant qu’artiste de Dieu.
J’ai toujours voulu savoir si le Docteur MUTAZIHANA qui avait dirigé le groupe assassin de mon père était emprisonné. En 2003 j’étais ici en Europe, et j’ai appris que cet homme était en prison de Gikongoro, lui et sa femme. J’ai en ce moment là pensé à leur fille qui était ma meilleure amie à l’Ecole primaire. Quand je suis allé au Rwanda en 2004, je l’ai difficilement retrouvée, on a mangé ensemble et je lui ai dit que je sais que ses parents ont tué mon père, que je savais qu’ils étaient en prison, mais que la fille ne doit pas avoir honte envers moi. Je lui disais qu’elle devait se souvenir non seulement de ce qu’on a vécu à cause de ses parents, mais aussi et surtout de notre relation à l’école primaire. Je lui ai dit que même si on a tué les corps de nos parents, frères et sœurs, leurs ames, dont nous qui sommes toujours en vie, n’ont pas été tués.
Je lui disais que j’aimerais reprendre contact avec elle, et l’aider si je le pouvais.
Elle n’était pas à l’aise, elle n’a pas pu manger, elle était là devant moi, assise de profil, en train de m’écouter très silencieusement. Elle me disait qu’elle trouvait tout cela trop gentil et incroyablement bon, mais qu’elle n’arrivait pas à y croire. « Ibyo byose ndabyumva kandi ndabyemera, ndabigushimiye. Ariko simbasha kubyakira » Je crois qu’elle ne m’a pas cru jusqu’aujourd’hui. Mais je ferais tout ce que je peux pour que par notre relation, les gens puissent comprendre que le pardon est tout à fait possible, grâce à Dieu, par Lui, avec Lui et en Lui.
Aujourd’hui je suis étudiant au Conservatoire de Musique de Paris. Je remercie Dieu de m’avoir donner la chance de pouvoir lui être reconnaissant dans mes compositions.
Je peux dire que les prêtres m’ont beaucoup déçu, ils ont voulu que je meure alors qu’on donnait l’offrande ensemble chaque matin. Mais ils ne peuvent pas me faire oublier mon Dieu et les promesses que je lui ai faites durant ma propre vie. Mon Dieu m’a permis de devenir compositeur, et aujourd’hui j’ai plus de 380 chants liturgiques qui parlent de Dieu, et qu’on chante pour Lui partout dans les paroisses du Rwanda. Il m’a aussi donné le Karaté que j’avais demandé.
Tous les gens qui m’aiment et qui souhaitent m’aider à faire quelque chose dans ma vie, je leur demande toujours de m’aider à chanter davantage pour Dieu. Merci à mes parents, à l’Eglise, au gouvernement Rwandais, au président Kagame, merci à tous les gens qui m’ont soutenu tout au long de ce voyage que je fais depuis plus de dix ans, entant qu’artiste de Dieu.
Que Dieu qui les accueille dans son Saint Royaume, se souvienne de nous qui faisons toujours ce long chemin : La vie sur la terre
Kizito MIHIGO
www.organistecompositeur.com
Mon Père BUGUZI Augustin, directeur de l’Ecole Primaire de Kibeho et ancien élève des premières écoles religieuses de Save, était quelqu’un de très appliqué dans l’Eglise. Il aurait d’ailleurs voulu devenir prêtre avant de rencontrer ma mère ILIBAGIZA Placidie, qui elle aussi était enseignante à l’école primaire de Kibeho. Mes parents m’ont donné le nom de MIHIGO grâce à mon grand père paternel qui s’appelait ainsi, et le prénom Kizito, grâce aux premiers martyrs ougandais.
En 1990, lors de la première attaque du FPR, Kibeho étant géographiquement mal placé, n’était pas parmi les régions les plus informées de ce qui se passait de l’autre coté, en l’occurrence en Ouganda. Le lendemain de l’attaque, je me réjouissais d’aller raconter à mon père comment notre pays venait d’être envahi par les petits animaux appelés Inyenzi Inyangarwanda. Et très convencu, je lui demandais de tout faire pour que ces animaux, comme nous disait la radio, n’arrive pas dans notre région.
Mon père qui apparemment était au courant de tout, et comprenait la situation beaucoup plus que moi, changea d’attitude depuis ces jours là. Il devint très calme, très pensif, beaucoup plus spirituel, lui qui alla à la messe chaque dimanche, commença désormais à y aller tous les jours, et nous les enfants, on se demandait pourquoi.
En avril 1994, avant même l’attentat de l’avion, les habitants de Kibeho étaient tous envahis de peur. Les écoles étaient fermées depuis quelques semaines, les étudiants hutus menaçaient leurs collègues tutsis, les voisins qui habituellement étaient nos amis, ont brusquement commencé à menacer mon père et ma mère en leur disant que leurs enfants allaient être tués à leurs yeux, et que nos vaches aller bientôt être mangées. Nous les enfants, on y croyait pas. Tous les gens qui venaient chez nous pour demander à manger et à boire, et qui tous partaient contents et rassasiés voire ivres, n’allaient pas, disions-nous, tout oublier d’un seul coup. On pensait au contraire qu’ils allaient nous protéger de cette guerre qui se murmurait depuis quelques mois.
Le 7 Avril 1994 le matin, j’ai croisé mon père dans le couloir de notre maison, et il ne semblait pas avoir dormi. Il avait les yeux rouges, comme quand il était fâché. Il est allé faire un tour derrière la maison, et il est revenu en nous disant : « Venez voir ce qui se passe sur la colline en face » Toutes les maisons de nos voisins en face, brûlaient en même temps, et on se demandait qui étaient capables de brûler ces maisons en même temps car elles étaient quand même nombreuses. …….. Arrivés à l’Eglise, nous avons été traumatisés par des milliers et des milliers de personnes, hommes, femmes et enfants venant de toutes les régions voisines.
L’Eglise était pleine, l’Ecole primaire aussi, et les gens commençaient à s’installer dans une école secondaire voisine.
Mon père était parmi les tutsis les plus recherchés de la région et il avait très peur, moi je l’ai vu. Il est venu nous trouver à la maison et il nous a demandé de partir, et d’aller dans une famille amie à Runyinya, une des communes de Butare. Mon père est resté avec sa mère qui était très âgée et qui ne savait plus marcher. Il nous disait que si la situation devenait trop grave, il allait prendre son vélo, et nous joindre à Butare. On devait partir à pied, et de préférence pas par les routes principales. Nous avons pris le chemin de la foret et nous avons allongé la rivière appelé Uwarunyerera. Après quelques kilomètres avec mes sœurs, ma mère et mon petit frère dans son dos, quelques hutus nous ont vu en train de traverser la vallée. Parmi eux il y avait les enseignants collègues de mes parents, l’inspecteur d’arrondissement, il y avait aussi l’agronome de la commune. Ils étaient assis sur les collines autour de nous, je crois qu’ils attendaient un signal pour aller tuer les gens dans l’Eglise. Ils nous ont vu et ils sont descendus des collines en criant : « Ce sont les riches, ce sont les riches, ils ne doivent pas nous échapper », et nous, nous avons couru dans différentes directions. Ma maman avait mon petit frère dans le dos, elle ne savait pas courir. Elle s’est cachée dans un trou à coté de la rivière, et j’ai rencontré mes soeurs une à une après quelques kilomètres dans la foret. A un certain moment nous avons cru que ma mère avait été tuée.
Ma mère a passé en effet le reste de la journée dans ce trou, et la nuit aussi. Le lendemain, elle nous a rejoint à Butare, et nous avons pleuré ensemble.Elle nous dit que les personnes qui nous poursuivaient ont traîné tout prêt de ce trou en fouillant partout. Quelques heures après son arrivée, nous avons vu l’Eglise de Kibeho en train de brûler, et nous entendions de loin les coups de feu. C’était la première fois que nous avons entendu le bruit d’un fusil, et nous nous demandions ce que devenait papa au milieu de tout cela.
Il nous avait dit que si la situation s’aggravait, il allait prendre son vélo et nous joindre à Butare. Nous avons passée toute la nuit tout yeux tout oreilles. On attendait papa avec son vélo.
Vers les 10h du matin, nous avons entendu « induru » les cris dans le quartier où on logeait. Après quelques minutes, c’était les coups de feu. Le bruit des fusils était tellement proche de la maison qu’on croyait l’entendre dans nos cœurs. Tout le monde tremblait. Maman nous demandait tous de prier, mais on n’y arrivait pas. Personne ne pouvait se concentrer. On prenait les chapelains en main, mais on en faisait rien. On a décidé de quitter la maison en courant. Moi j’ai pris la radio, mes sœurs ont pris les habits, les autres ont pris la vaisselle, et tout ce qui pouvait être portable, mais je vous jure que personne n’a couru plus de 500 mètres avec. Il y avait un très long fil des hutus qui nous demandaient l’argent, tout ce que nous avions, ou alors, nous tuer. Il y avait aussi quelques twa avec eux. Quelques dizaine de tutsi de ce village, sont morts en ce moment là.
Après avoir donné tout ce que nous avions, ils nous ont conduit au centre de Karama, toujours en province de Butare, et ils nous ont dit que les massacres étaient finis. Nous avons failli y croire car on a passé plus de deux semaines dans ce centre, on était beaucoup de milliers dans ce centre et on attendait qu’ils viennent nous tuer, mais je crois qu’ils avaient peur parce qu’on était très nombreux. Pendant la nuit, on était attaqués par des petits groupes des hutus armés mais à chaque fois on les combattait, et on les chassait. Moi et ma famille nous dormions dans une salle paroissiale, entre l’Eglise et l’Ecole. On était tellement nombreux dans cette salle, que quelques fois je préférais aller dormir dehors malgré le danger.
Les gens dormaient au dessus des autres, on dirait les sacs de charbons … Quand on voulait sortir pendant la nuit, on marchait au dessus des gens. Un enfant a voulu aller faire pipi, on lui a dit de marcher sur les gens, et d’aller faire pipi à travers la fenêtre, et il est revenu en morceau. On lui a lancé une grenade à travers la fenêtre. Les gens qui dormaient à coté de la fenêtre, ont été tous blessés. Moi je n’ai rien su, parce que j’étais en dessous. J’étais étouffé, je ne pouvais pas respirer, mais, au moins j’ai été sauvé de ce danger. Nous avons passé une dizaine de jour à ce centre paroissiale de Karama, et le 19 Avril, c’était le jour qu’on attendait.
Toute l’armée de la province de Butare je crois, toute la police, toute la gendarmerie, sont tous venus nous bombarder. Ils lançaient les bombes et les grenades dans les sales, et pendant qu’on criait en essayant de prendre les blessés et en regardant si quelqu’un de la famille avait été touché, les interahamwes entraient dans les sales pour couper les têtes des gens. Chaque personne qui sortait était directement fusillée par les soldats qui étaient dehors. Un homme très courageux appelé Ildefonse, ordonna tous les hommes qui étaient dans notre salle de sortir et de mourir en combattant. Seuls les femmes et les enfants devions rester dans la salle. Ildefonse est sorti premier et sa tête a explosé juste devant la porte, et le sang nous a rejoint en l’intérieur de la salle. Les Interahamwe sont entrés dans notre salle, ils ont coupé les gens, ils ont coupé tout le monde, mais pas moi, ni ma mère, ni mes sœurs. On était très salle, tout le monde était très salle, imbibé dans le sang, je pense qu’ils n’arrivaient plus à distinguer les vivant des morts et des blessés. Dans la salle j’étais avec mes quatre sœurs, ma mère et mon petit frère. Personne n’a été coupé pendant les trois heures de massacres, de midi à 15h. Nous considérons cela comme un véritable miracle de Dieu. A 15h, ils ont dit qu’ils n’avaient plus de balles. Tous les soldats sont partis, et seuls les miliciens sont restés avec leurs machettes et gourdins. Nous nous sommes décidé de sortir, on se disait qu’ils allaient nous couper avec les machettes et nous frapper avec leurs gourdins, mais qu’à un certain moment, ils allaient être fatigués. C’est comme ça que ça s’est passé. On est sorti au milieu de machettes. Le sang partout, on coupait celui qu’on voulait, moi je courait en marchant au dessus des morts et des blessés, où est ma mère je n’en sait rien, où sont mes sœurs ? A savoir plus tard, seule ma vie comptait. J’ai marché au dessus de quelqu’un qui n’avait plus de jambes. Il avait la hanche, les bras et la tête, mais pas les jambes. Il m’a dit : Stp ne marche pas au dessus de moi. Je l’ai regardé et j’ai continué à courir mais cette fois ci en pleurant.
Je ne savais pas quoi faire, je ne savais pas où aller, je ne comprenais pas bien ce qui se passerait dans le monde. Je croyais que c’était le monde entier qui vivait la même situation. J’ignorais que cela était possible, et surtout aussi brusquement.
Je me suis donc séparé de ma famille, et j’ai suivi un groupe des tutsis qui couraient. On a couru, ils disaient qu’on allait au Burundi, mais personne d’entre nous ne connaissait le chemin. On a traversé les vallées, on courait, on arrivait dans une vallée où les hutus nous attendaient avec leurs armes, ils tuaient, et si tu avais quelque chose à leur donner, ils pouvaient te laisser partir en te disant que tu allais te faire avoir devant. C’était juste, à chaque cent mètres on trouvait un groupe qui nous attendait. On a quitté Karama on était un groupe de 500 personnes environs, on est arrivé à Nyakizu, la commune voisine, on était plus qu’une dizaine. Dans la vallée de Nyakizu, c’était le matin du jour suivant, j’ai rencontré les gens que je connaissais. J’étais enfant de chœur dans l’église de Kibeho, je servais les prêtres pendant la messe tous les matins. Dans la vallée de Nyakizu, très tôt le matin, j’ai rencontré un groupe des hutus parmi eux, il y avait un prêtre que je servais tous les jours à Kibeho. Il a dit : Ce garçon je le connais, il est de Kibeho, on a déjà tué son père, il est le plus beau qui nous reste. Un soldat qui était avec lui a dit : « Il faudra le tuer comme dessert alors ». On m’a ordonné de m’asseoir là à coté d’une rivière, en attendant qu’ils finissent le groupe avec lequel j’étais, pour enfin me tuer comme dessert. J’étais assis avec une vieille femme, elle aussi devait être tué comme dessert. Ils ont tué tout le groupe avec lequel j’étais, sauf deux filles qui devaient rentrer avec eux, disaient-ils.
Quelques minutes après, un grand groupe des tutsi est arrivé, il y avait ma mère et ma sœur dedans, je les ai vus. Parmi eux il y avait un homme qui avait encore un peu d’argent. Il les suppliait en disant : Svp, ne me tuez pas je vais tout vous donner. Ils étaient tous distraits par cet homme, et moi j’ai couru sur la montagne, et en montant le soldat à tiré, mais aucune balle ne m’a touché. Actuellement je vois cela dans les films d’actions.
J’ai fait trois jours et trois nuits à pied, pour arriver au Burundi, tout comme les autres tutsis venant de Karama. Arrivé au Burundi c’était un autre combat qui commençait : Pleurer, chercher comment vivre seul sans rien, chercher et retrouver les miens qui seraient toujours vivants, et tout cela seul.
Le HCR était la seule personne qui pouvait m’aider, mais il était trop surchargé pour ça.
Deux semaines après mon arrivée au Burundi, j’ai retrouvé la première personne de ma famille : Ma mère avec mon petit frère qui n’avait pas encore un an. Ils étaient emmenés dans un autre camp de réfugiés qui étaient à quelques kilomètres du mien. J’y suis allée, je les ai retrouvés et je suis resté avec eux. Quelques jours plus tard, quelqu’un m’a dit qu’il aurait vu ma sœur à Matongo, un autre camp de réfugiés de l’autre coté du Burundi. J’y suis allée, deux jours à pied, et j’ai retrouvé Consolée ma sœur aînée. On a pris le camion du HCR et on est revenu à Mureke pour joindre maman et mon frère. Le lendemain j’ai appris que mes deux petites sœurs venait d’arriver à Mparamirundi, un camp de réfugiés tout près de la frontière, je les ai retrouvées, et elles aussi ont vécu des choses croyez moi. Seulement je ne sais pas si elles sont prêtes à les raconter. J’ai retrouvé tous les membres de ma famille de cette façon, à part mon père bien sur. Je rencontrais les gens qui étaient à Kibeho lors du bombardement de l’Eglise, et ils me disaient que lui a été tué à part, par un groupe des hutus dirigé par un Médecin de Kibeho, un docteur appelé MUTAZIHANA. Mutazihana avait une fille qui était une très grande amie à moi. On étudiait ensemble à l’école primaire de Kibeho. On m’a dit que c’est son père qui a tué le mien, et j’ai senti tout l’amour que j’avais pour elle, se transformer en terrible haine. J’ai détesté tous les hutus, et toutes les personnes de parents mixtes. Quand j’étais au Burundi, j’étais capable de tuer aussi, je crois. J’ai voulu entrer dans l’armée du FPR pour venger mon Père, mais j’étais trop petit, on n’acceptait pas les garçons de 12 ans. Je traînais avec les soldats burundais, je leur racontais ce que j’avais vécu, et je leur parlais de mon projet de venger mon père. Ils me soutenaient ces soldats, figurez vous. Je leur demandais de m’apprendre comment utiliser la baïonnette, la grenade et le fusil. Ils me l’ont appris. Je me disais que si jamais le FPR prenait le pouvoir, il y aurait plus de hutu dans notre pays, tout comme les enfants qui ont les parents mixtes. Je les détestais aussi. Je ne faisais plus confiance aux gens, et j’étais devenu très méchant. Heureusement que j’étais au Burundi, si j’avais pu être au Rwanda en ce moment là, j’aurais tué beaucoup de gens. J’en ai tué beaucoup ailleurs dans mes pensés. Je demande pardon à Dieu pour ce sentiment de haine et de vengeance que j’ai eu en ce moment là.
Juillet 1994, le FPR a libéré le pays, et nous sommes rentrés. Il n’y avait pas beaucoup de hutus dans le pays à l’époque, heureusement d’ailleurs. J’étais cette fois-là préoccupé par la recherche d’une belle maison à Kigali, pour mettre ma famille dedans et après aller dans l’armée du FPR. J’ai essayé d’entrer en Armée par le camp de Gashora au Bugesera, le seul camp militaire qui acceptait encore les enfants (Kadogo), et j’y ai rencontré mon oncle qui était dans l’armée depuis longtemps, il m’a donné dix coups de bâtons sur mes fesses et m’a obligé de retourner chez moi. Je suis retourné dans ma famille, fâché, de Bugesera à Kigali à pied. Quelques mois après, les écoles ont repris à Kigali, j’ai fini ma sixième année mais, j’avais une haine trop grande pour les enfants hutus. Un enfant hutu me parlait, et je le frappais. J’ai frappé beaucoup d’enfants comme ça, innocemment.
Après ma sixième année primaire en 1995, j’ai fait l’examen d’entrée au Petit Séminaire de Butare, un collège qui forme les futurs prêtres. J’avais juré à mon père d’entrer dans cette école, et lui m’avait dit que c’était l’école la plus sérieuse. J’ai réussi l’examen d’entrée et je suis parti au Séminaire. Je n’avais pas de vision de devenir prêtre en ce moment là, j’y allais juste parce que c’était une école préférée de mon Père et que je devais me souvenir de ses choix pour moi. Sinon j’avais la haine pour tout ce qui est les prêtre et l’Eglise. Arrivé au Séminaire, je suis tombé amoureux de deux choses aujourd’hui indispensables dans ma vie:
LA MUSIQUE SACREE et le KARATE. J’étais emporté par les compositions de la Chorale de Kigali interprétées par les séminaristes, et en dehors de l’école je me réjouissais à faire du Karaté avec l’équipe de l’école.
On avait la messe tous les matins et moi ma prière quotidienne pendant que le prêtre élevait le pain et le vin, était : « Seigneur, fais de moi un grand compositeur, fais de moi un grand chanteur de ta louange.
Aide-moi à te célébrer et à être célèbre dans ce domaine sacré, fait de moi quelqu’un de très fort dans le chant liturgique, et que tout le Rwanda puisse se servir de mes compositions. Seigneur, fais que mes compositions puissent bouleverser les cœurs de tous les rwandais, comme ces chants des séminaristes ont bouleversés ma vie. Fais que mes chants me valent ton Amour Seigneur et celui des hommes » Puis je disais à Dieu : « Seigneur, aide moi à devenir un grand Karateka, que je puisse être le capitaine de l’équipe de l’école un jour »
Pendant ma première année au séminaire j’ai composé plus de 50 compositions, et certaines se chantaient déjà au séminaire. En deuxième année, étant organiste de la chapelle du séminaire, j’ai fondé la chorale Mélomane, chorale permanente de l’Ecole. Avec une centaine de mes compositions, la chorale mélomane fut première dans des compétitions nationales des chorales. Dans cette chorale, il y avait le fils de l’Inspecteur d’arrondissement de Kibeho et le fils de l’agronome de Kibeho, les hommes qui voulaient nous tuer le 7 avril. Je leur apprenais à chanter tous les jours. Je vous le dis sincèrement, ces deux visages qui étaient tous les jours devant moi, dans ma chorale, m’ont beaucoup aidé à accepter beaucoup de choses dans ma vie. Ils m’ont beaucoup appris qu’on pouvait renoncer à la haine afin de pouvoir bien chanter pour Dieu. Ils m’ont aidé à anéantir ce sentiment amer qui colonisait mon âme depuis quelques années. Ces deux garçons ne le savent pas mais par eux, j’ai appris à pardonner, j’ai pardonné et je me sens plus heureux, plus tranquille, plus libre et surtout, plus proche de Dieu. Pardonner c’est à mon avis une grâce qui vient de Dieu tout seul, mais aussi une grâce qu’on peut demander et obtenir surtout quand on lutte pour être chrétien digne de ce nom, bref quand on veut aimer sans aucune limite.
Ils savaient chanter ces deux garçons, et moi je ne voulais pas me débarrasser d’eux. L’un d’entre eux est devenu finalement mon successeur, il a dirigé cette chorale après mon départ du Séminaire.
En 1997, dans une recollection au séminaire, je me suis souvenu, que quand j’étais au chemin vers le Burundi, j’avais promis à Dieu que si je n’étais pas mort, je n’allais plus pécher et j’allais consacrer toute ma vie à faire quelque chose qui Lui rendra gloire pendant toute ma vie. C’est donc en 1997 que j’ai pris la décision de me consacrer entièrement à la composition, à l’interprétation des chants liturgiques et à l’orgue, bref à devenir artiste de Dieu.
J’ai ensuite composé plus de 380 compositions qui se chantent partout dans les paroisses du Rwanda. J’ai grâce à Dieu réussi plusieurs concours nationaux, dont celui de l’hymne national actuel de notre pays. Je remercie infiniment notre patrie, le Président de la République et son gouvernement qui ont reconnu ma vie entant qu’artiste, et m’ont donné la chance de venir approfondir mes connaissances aux Conservatoires de Musique d’Europe. C’est une expérience artistique incomparable pour moi. C’est un autre monde différent du séminaire mais dans lequel on doit aussi se chercher et se retrouver entant qu’artiste de Dieu.
J’ai toujours voulu savoir si le Docteur MUTAZIHANA qui avait dirigé le groupe assassin de mon père était emprisonné. En 2003 j’étais ici en Europe, et j’ai appris que cet homme était en prison de Gikongoro, lui et sa femme. J’ai en ce moment là pensé à leur fille qui était ma meilleure amie à l’Ecole primaire. Quand je suis allé au Rwanda en 2004, je l’ai difficilement retrouvée, on a mangé ensemble et je lui ai dit que je sais que ses parents ont tué mon père, que je savais qu’ils étaient en prison, mais que la fille ne doit pas avoir honte envers moi. Je lui disais qu’elle devait se souvenir non seulement de ce qu’on a vécu à cause de ses parents, mais aussi et surtout de notre relation à l’école primaire. Je lui ai dit que même si on a tué les corps de nos parents, frères et sœurs, leurs ames, dont nous qui sommes toujours en vie, n’ont pas été tués.
Je lui disais que j’aimerais reprendre contact avec elle, et l’aider si je le pouvais.
Elle n’était pas à l’aise, elle n’a pas pu manger, elle était là devant moi, assise de profil, en train de m’écouter très silencieusement. Elle me disait qu’elle trouvait tout cela trop gentil et incroyablement bon, mais qu’elle n’arrivait pas à y croire. « Ibyo byose ndabyumva kandi ndabyemera, ndabigushimiye. Ariko simbasha kubyakira » Je crois qu’elle ne m’a pas cru jusqu’aujourd’hui. Mais je ferais tout ce que je peux pour que par notre relation, les gens puissent comprendre que le pardon est tout à fait possible, grâce à Dieu, par Lui, avec Lui et en Lui.
Aujourd’hui je suis étudiant au Conservatoire de Musique de Paris. Je remercie Dieu de m’avoir donner la chance de pouvoir lui être reconnaissant dans mes compositions.
Je peux dire que les prêtres m’ont beaucoup déçu, ils ont voulu que je meure alors qu’on donnait l’offrande ensemble chaque matin. Mais ils ne peuvent pas me faire oublier mon Dieu et les promesses que je lui ai faites durant ma propre vie. Mon Dieu m’a permis de devenir compositeur, et aujourd’hui j’ai plus de 380 chants liturgiques qui parlent de Dieu, et qu’on chante pour Lui partout dans les paroisses du Rwanda. Il m’a aussi donné le Karaté que j’avais demandé.
Tous les gens qui m’aiment et qui souhaitent m’aider à faire quelque chose dans ma vie, je leur demande toujours de m’aider à chanter davantage pour Dieu. Merci à mes parents, à l’Eglise, au gouvernement Rwandais, au président Kagame, merci à tous les gens qui m’ont soutenu tout au long de ce voyage que je fais depuis plus de dix ans, entant qu’artiste de Dieu.
Que Dieu qui les accueille dans son Saint Royaume, se souvienne de nous qui faisons toujours ce long chemin : La vie sur la terre
Kizito MIHIGO
www.organistecompositeur.com
URUGERO WATANZE MUKUBABARIRA RUGERE KURI BOSE, icyampa ngo twese twitoze gukora neza, tuzigire mu ijuru kuko iyisi siho iwacu,kandi aho tuzabona abo twabuze bose.NANJYE NUZUYE NUMUHUNGU WABUZE ABE,AMAZE KUMENYA KO FAMILLE YANJYE ITAHIGWAGA ARANTA,NARINZIKO KO NZAMUFASHA NKAMWIHANGANISHA,TUGAFATANYA URUGAMBA RW,UBUZIMA;NARABABAYE NO GUKUNDA UNDI BYARANANIYE.
ReplyDeletemy number 0784780566 mwamfasha.
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